Objectifs

La recherche poursuit cinq objectifs principaux :
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1 – Comprendre la diversité consommée sur les plateformes

La numérisation des pratiques d’écoute musicale, en facilitant l’accès des consommateurs à un très grand nombre d’œuvres différentes, est porteuse de promesses de démocratisation des pratiques et de diversification des écoutes. Des travaux conduits à partir de grands volumes d’historiques d’écoute sur les plateformes de streaming ont confirmé en premier lieu l’ampleur moyenne de la diversité consommée et l’effet positif du passage à l’écoute en streaming sur la diversité. Ils soulignent également l’hétérogénéité de la distribution de cette diversité consommée entre les individus : certain.e.s auditeurs/trices ont des consommations beaucoup plus diversifiées que d’autres, sans que cela soit réductible à la quantité de leurs écoutes. Ces travaux butent cependant sur l’explication des consommations plus ou moins diverses, faute de données permettant de qualifier les auditeurs/trices selon leurs origines sociales, leurs goûts ou leurs habitudes.

Nous cherchons à décrire et expliquer les pratiques et expériences des utilisateurs en matière de diversité consommée à partir de la combinaison des historiques d’écoutes individuels avec les données déclaratives d’une enquête par questionnaire à large échelle. Plusieurs hypothèses seront particulièrement explorées :

  • l’existence effective d’un omnivorisme
  • la différenciation sociale de l’appétence pour la diversité
  • l’influence des contextes sur le contenu et la diversité des écoutes

En étudiant ces trois hypothèses de façon interdépendante, nous pourrons envisager d’en explorer une quatrième, celle d’un omnivorisme de contexte, selon laquelle la diversité des écoutes serait liée à la variété des activités de la personne plutôt qu’à l’ouverture de ses goûts.

2 – Explorer les effets mesurables de la recommandation

Nous souhaitons apporter une contribution empirique à la compréhension des effets des prescriptions (éditoriale et algorithmique) des plateformes sur les écoutes, au niveau individuel et collectif, et à plusieurs échelles de temps — de la journée à quelques années. Quels sont les liens qu’entretiennent l’écoute « au naturel » et l’écoute guidée sur ces plateformes ? Pour répondre à cette question nous chercherons à établir des typologies des usages et des effets de la recommandation selon différentes et pratiques.

3 – Repenser la catégorisation des objets en sociologie de la musique

La différenciation sociale des goûts musicaux a de longue date retenu l’attention des sociologues de la culture. Cette attention est à l’origine d’une tradition de recherche empirique et quantitative, qui s’appuie sur la mise en relation de l’espace des goûts et de l’espace des positions sociales. Le classement des œuvres et des artistes par genres, tel qu’il s’opère dans l’industrie de la musique et dans les médias, facilite la mise en évidence des relations entre les deux espaces. La tradition oppose schématiquement musique savante et musique populaire, goût des classes « dominantes » et goûts des classes « dominées », en établissant l’affinité statistique entre genres musicaux et positions sociales. Elle souffre néanmoins de limites que le projet a pour objectif de dépasser :

  1. le modèle de l’homologie structurale de l’espace des goûts et de l’espace des positions sociales donne souvent lieu à une lecture substantialiste de la relation entre ces deux espaces qui déforme la nature de cette relation. Il ne s’agit pas en effet d’une relation figée, terme à terme, entre répertoires de goûts et classes sociales. Goûts et dégoûts peuvent se porter sur des objets variables selon les contextes et selon les époques, tout comme les répertoires savants et populaires sont une construction sociale et historique. La hiérarchie sociale des goûts concerne ainsi davantage la manière de s’approprier les objets sur lesquels ils se portent que les objets eux-mêmes. Notre objectif est de neutraliser ce travers d’interprétation en décrivant la variété des formes d’appropriation et des contextes d’écoute, par l’analyse conjointe de données d’enquête, d’historiques d’écoutes effectives et de données recueillies en entretien.
  2. une seconde limite de cette tradition de recherche en sociologie des goûts tient à la rigidité des procédures de mise en genres des objets musicaux, qui renforce le travers décrit précédemment en définissant a priori les catégories de la réception musicale. Nous suivons une approche alternative en croisant les historiques d’écoute et les propriétés musicales des titres écoutés. Nous confrontons les catégories ordinaires de mise en genres, savantes et/ou commerciales qui qualifient a priori les oeuvres, et les catégories « pragmatiques » qui émergent des historiques d’écoute de ces oeuvres.
  3. enfin les dispositifs d’enquête habituels ne tiennent pas compte de la segmentation interne des genres consacrés par les acteurs de la production et de la diffusion musicale. Les genres agrègent des produits culturels très différents : il existe par exemple des musiques classiques plus populaires que d’autres ou encore une salsa élitiste et une plus populaire. Le dispositif de recherche que nous proposons, parce que son unité d’analyse est le titre et pas le genre, permet d’implémenter à grande échelle et sur des données françaises une démarche d’analyse qui a démontré sa capacité à identifier ces formes de segmentation intra-genres, et à montrer que la différenciation sociale des goûts se joue en partie des frontières entre genres consacrés.

4 – Éclairer les relations entre goûts musicaux déclarés et écoutes effectives

Les enquêtes sur les goûts et pratiques ordinaires se heurtent au caractère essentiellement déclaratif des informations qui y sont recueillies. Plus largement, toutes les données d’enquête sont affectées d’un biais de désirabilité sociale des réponses, inégalement prononcé selon les contextes et les domaines étudiés. Nous souhaitons analyser finement ces distorsions entre préférences déclarées et préférences « révélées » par les historiques d’écoute sur le long terme. Pour ce faire nous avons imaginé un dispositif d’enquête qui croise l’analyse des réponses fournies à une enquête par questionnaire, renseignée par des milliers d’abonnés de Deezer, et l’analyse des traces d’écoute des enquêté.e.s ayant explicitement donné leur accord.

La difficulté demeure toutefois de situer les pratiques d’écoute en streaming dans l’ensemble des pratiques d’écoute de musique, et d’interpréter la signification des écarts qui seront observés entre préférences déclarées et écoutes effectives. Même si l’écoute de musique en ligne connaît aujourd’hui une progression spectaculaire, son incidence varie fortement selon les catégories de populations, notamment selon les générations, et elle s’associe à une variété d’usages que le dispositif d’enquête élaboré a aussi pour ambition d’éclairer. La pluralité des usages de l’écoute de musique enregistrée, quels qu’en soient les supports, est aussi en partie à l’origine de la variété des registres de goûts et de pratiques individuelles « dissonantes » dont l’hétérogénéité tient d’abord à cette pluralité d’usages qui peuvent correspondre à des degrés d’attention et d’attachement différents (de la musique de fond ou d’ambiance aux formes plus actives et/ou plus savantes d’écoute).

5 – Intégrer de l’information sociale hétérogène dans la recommandation

Les approches dominantes en recommandation automatique consistent à construire des espaces métriques dans lesquels sont « plongés » les morceaux, les artistes et/ou les auditeurs, et dans lesquels la similarité et/ou l’appétence d’un utilisateur envers une piste ou un artiste est mesurée par une distance, et les éléments considérés comme recommandables choisis dans un voisinage. Ces espaces sont construits à partir des traces de co-écoutes ou du signal audio et tirent parti des avancées récentes en apprentissage automatique sur de grands volumes de données. Notre recherche, par l’ampleur et la variété des informations collectées (historiques d’écoutes, questionnaires et entretiens) et l’ambition de les fusionner, doit permettre un saut qualitatif de la recommandation.